Virginie Probst

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Couleurs

En ces temps-là, il n’y avait pas encore de couleurs dans le monde. 
Il n’y avait rien d’ailleurs. Il y avait le jour. Blanc. Il y avait la nuit. Noire. 
On passait du blanc au noir, du noir au blanc. Entre les deux, vivait Transparence. Elle rendait toute chose plus douce, avec un peu de relief, un trait de texture, elle offrait des formes mouvantes et des nuances délicates aux noirs et aux blancs.
Transparence avait une qualité particulière: elle dansait. Un soir, alors qu’elle s’apprêtait à danser les différents noirs de la nuit à venir, elle aperçut quelque chose d’inhabituel dans la prairie au loin, à la lisière de la forêt: quelque chose sifflait et tournoyait sur lui-même dans une folle farandole. Un feu follet! Il dansait et chantait pour lui tout seul, et il était heureux.
Transparence s’approcha et vit d’autres feux-follets au loin, chacun dansant et chantant pour lui-même, et peut-être aussi un peu pour la nuit qui s’avançait.
Transparence s’approcha encore, pleine d’une émotion inconnue, jusqu’à ce que l’un des feux follet la vit; il s’arrêta net. Surpris par l’apparition de Transparence, il essaya de la toucher mais elle n’avait pas de corps. Ou plutôt son corps était toute chose qu’elle décidait d’approcher. Alors le feu follet, fonceur et curieux, plongea tout entier dans cette étrange apparition. C’est alors que Transparence vit la couleur pour la première fois: orange, jaune, avec quelques reflets de bleu, la couleur du feu follet. 
Voilà que quelque chose d’infiniment nouveau arrivait au bord du monde. Transparence entendit chanter la couleur orange. Un son ample, vaste, joyeux. Le jaune à son tour se mit à striduler, chant d’oiseau inconnu jusqu’alors. Chaque couleur était devenue un son et chaque son se transformait à son tour! Le bleu devenait de plus en plus vaste et libre comme la vie sauvage, tour à tour galop d’une horde de chevaux sauvages, un bruissement, un va-et-vient, un flux éternel. Bercée,Transparence voguait doucement, elle vit alors ses pieds nus entourés par le bleu et son chant, qui devenaient l’eau de l’océan, belle eau claire, et même parfois... transparente.
C’est ce soir-là qu’est né l’océan, dans la nuit noire après le jour blanc, grâce à Transparence, aux feux follets et à la lumière des sons, qui danse, qui chante et qui transforme.