Evaluation - évolution
Des élèves de gymnase ouvrent un site pour évaluer leurs professeurs. Tollé de la directrice, de l’association des professeurs de gymnase avec comme conséquence pour les élèves trois semaines de suspension.
« Hormis l’aspect démagogique et commercial de l’évaluation des professeurs par les élèves...la démarche publique amène des risques de disqualification et d’atteinte à l’image.» F.E Nicolet, présidente de l’AVMG (Association vaudoise des Maîtres de gymnases).
En effet, Madame la Présidente. Risques de disqualification et d’atteinte à l’image. C’est ce que nos enfants vivent dès leur plus jeune âge au sein de nos sociétés. C’est ce que nous- mêmes avons vécu, accepté et continuons à faire vivre à ceux qui nous entourent et aux générations suivantes. Nous évaluons. Tous nos systèmes, qu’ils soient familiaux, éducatifs, sociaux, économiques, religieux sont basés sur une logique d’évaluation.
Evaluer, c’est donner une valeur à quelque chose, à quelqu’un par rapport à un ensemble de critères qui fonde une vérité commune. Cette vérité commune n’est qu’une perception de la réalité. C’est pourtant sur elle que reposent nos évaluations, c’est-à-dire la mesure de l’adéquation à une valeur extérieure acceptée comme juste, en négligeant l’adéquation à un sentiment de justice intérieure. Il en résulte une disqualification de l’être humain.
Du coup apparaît une dissociation entre ce qu’il est dans son être profond et ce qui est attendu de lui, ce à quoi il croit devoir correspondre pour maintenir le lien affectif et nourricier du clan humain au sein duquel il évolue. Dissociation entre l’être, libre, illimité et l’individualité domestiquée dans lequel il est censée se tenir. Il se vit désormais séparé. Entre l’âme et le corps, entre le divin et le mortel, entre l’esprit et la matière.
Afin d’assurer sa survie au sein de son clan, l’être humain apprend très tôt à modeler son image, restreindre ses désirs, adapter ses comportements aux croyances -au Rêve- de ceux qui l’entourent, famille, société, histoire humaine et mythes fondateurs jusqu’à les faire siens. Pendant ce processus de conditionnement au vivre-ensemble tel qu’il existe dans la plupart de nos sociétés, il se coupe lentement de l’élan créateur qui lui est propre, des désirs de son âme et de sa nature originelle. Il se coupe aussi de son chemin unique et sacré et par là même, de son unicité avec la vie elle-même.
Cette dissociation, profondément douloureuse, nécessite donc une lente anesthésie. Et nous voici, tous autant que nous sommes, à vivre endormis, -en tous cas somnolents-, ignorants de « qui » nous sommes réellement, comme de notre appartenance à un ordre des choses plus vaste.
Mais....la force de vie est là. Elle sourd partout et cherche inlassablement un chemin pour nous réveiller et nous ramener vers nous-mêmes. Comme un pressentiment parfois bruyant, nous sentons quelque chose murmurer en nous, quelque chose comme un grand rêve, un appel vers une plus grande version de soi, un désir de partager avec tous à partir de ce qui fait de chacun de nous un être unique et universel.
Les élèves concernés décident d’évaluer à leur tour. Oeil pour oeil.
En utilisant ces mêmes armes qui les ont crucifiés, ils disqualifient à leur tour l’être profond d’autrui par l’imitation d’une logique de jugement qu’ils acceptent. Ces armes, fondées sur les valeurs économiques étendues aujourd’hui à tous les aspects de nos existences, nient la possibilité à l’être humain de son humanité même; à savoir que sa seule présence au monde est nécessaire et suffisante et constitue en elle-même un miracle offert à tous.
Utiliser les mêmes armes c’est faire du neuf avec du vieux.
Or seule la rébellion permet la possibilité d’un champ neuf. L’acte de rébellion est un acte de foi envers ce qu’il y a de plus vivant en nous, et qui nous interpelle: « Non, ceci n’est pas ce que je ressens! Cesse de me dire comment je devrais être, vivre, aimer, ressentir, me comporter! Cesse de me juger.» Sursaut de la vérité profonde de l’âme, il permet de mobiliser nos forces vives et souvent collectives. Comme un pied d’appel, il nous propulse vers d’autres rives lorsque nous nous réveillons de nos endormissements, peurs et conformismes variés, lorsque nous prenons conscience des abîmes qui nous séparent de ce que nous percevons dans le fond de notre être comme étant juste et ce que nous avons accepté comme valeur extérieure jusqu’alors.
Afin que cette possibilité se matérialise dans quelque chose de résolument neuf, en une proposition nouvelle de vivre, pour soi et pour les autres, il faut reconnaître en soi sa capacité à créer à partir de cette autre réalité, ce rêve qui nous parle depuis toujours et qu’on a si peu entendu.
Le vivre-ensemble, quel qu’en soit sa forme et où que ce soit sur notre planète se fonde sur des valeurs communes. Elles ont besoin, pour accompagner le mouvement inexorable d’expansion du vivant d’être remises en question. D’abord au niveau individuel et détruites -ou pas-, afin que de ces cendres naisse quelque chose d’infiniment nouveau.
Juin 2016