Virginie Probst

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La vieille Mathilde

J'entend le chant du coup de balai devant la porte; le soir est donc venu. 
Avant que ce jour ne s'éteigne, tout sera accompli selon des gestes immuables. 
Elle ramasse les fleurs, les pommes, les roses, les feuilles. Au rythme des saisons, le dos de plus en plus courbé, elle recueille avec soin ce que lui offre sa terre. On ne gaspille pas impunément la vie.
Elle a 100 ans. Elle a mille ans. 
La vieille. La vieille Mathilde.
Elle a mis sa jaquette douce, même par cette soirée chaude.

Son visage est une oeuvre sculptée: sillons de rires et de souvenirs crépusculaires qui se perdent dans ses cheveux blancs. 
Chaque heure, chaque minute a sa place propre, honorée du geste qui lui correspond.

Elle est devenue le Temps, les saisons, le rythme. Elle s'est fondue et soudée dans son mouvement. Le rythme qui donne la forme. 
Presque rien ne subsiste d'elle. De ses désirs, élans, souffrances, espérances. Elle s'est vidée peu à peu de tout, sublime carcasse qui laisse désormais passer la lumière.

Restent deux yeux délavés, chaque jour un peu plus clairs, reste l'économie du geste et la prière du soir: 'Mon Dieu, Toi qui m'aime telle que je suis...'

Il reste le souffle. Il reste le rêve: celui de retourner à la lumière, à la maison, lorsque la tâche aura été accomplie et l'expérience terminée.